Ce livre c’est l’histoire d’une rencontre et bien plus encore. L’histoire est scindée en trois parties. Dans la première, le narrateur, un étudiant, y raconte comment il a rencontré l’homme qu’il appelle le Maître, comment ils ont peu à peu commencé à se voir régulièrement et comment le jeune homme s’attache véritablement à son Maître. Le jeune homme y découvre, sans vraiment comprendre, la complexité de la pensée du Maître, ce qui le pousse à vivre aussi reclus et sans de lien réel avec les gens (p 56):
– Quoi qu’il en soit, reprit-il, il n’est pas bon, en ce qui vous concerne, que vous mettiez en moi trop de confiance. Plus tard, vous vous en repentirez. Et, pour avoir été trompé, vous vous vengeriez par représailles !
– Mais que voulez-vous dire ?
– Ceci : que lorsqu’on se souvient de s’être naguère agenouillé devant qui vient de vous décevoir, on a désir de se venger en lui donnant du pied sur la tête. C’est pourquoi, plutôt que de m’exposer à encourir demain le mépris d’autrui, je préfère aujourd’hui repousser les avances d’autrui. Plutôt que de m’exposer demain à un avenir plus triste, je préfère supporter aujourd’hui une moindre tristesse. Trop de liberté, trop d’indépendance, trop d’égoïsme : telle est notre époque actuelle. Pour expier le péché d’y être nés, c’est une évitable nécessité sans doute que, tous, nous en partagions la tristesse !
Devant une telle conception du monde, je ne savais que dire au Maître.
Cette partie s’intitule « Le Maître et moi ».
Dans la deuxième partie du livre, intitulée « Mes parents et moi », le jeune homme explique ses liens avec ses parents, son frère et sa sœur. Des événements dévoilent le caractère et l’attachement de chacun. Cette partie fait la part belle au lien qui unit les parents aux enfants (l’envie qu’ils réussissent, qu’ils se fassent une bonne situation, qu’ils respectent les codes sociaux, etc.) mais aussi le respect que les enfants doivent à leurs aïeux (les soins ou l’aide en cas de maladie, la compagnie, etc.). Pourtant, le jeune homme reçoit bientôt une missive du Maître, qui le fera partir précipitamment de chez ses parents pour se rendre à Tokyo, auprès du Maître.
La dernière partie est écrite du point de vue du Maître puisque c’est le contenu de la lettre qui est retranscrit. Le Maître décide de s’ouvrir au jeune homme, de lui apporter les réponses aux questions qu’il lui a posé lors de leurs nombreuses ballades et entrevues. Le Maître y revient sur l’ensemble de sa vie, en y expliquant les faits majeurs, en décortiquant ce qui l’a amené à ce mode de pensée.
Ce roman, au phrasé un peu désuet mais fort bien construit et plutôt poétique, est un récit plein de fraîcheur, d’entrain. Les chapitres sont courts, chacun apportant son lot d’informations que l’on tente d’analyser. Au départ, on connaît très peu les protagonistes (d’ailleurs, on ne connaît pas leur prénom), mais peu à peu, au fur et à mesure des événements, les personnages prennent forme et corps.
Le découpage en trois parties permet dans un premier lieu de poser les bases du récit (la rencontre des deux hommes, la création du lien entre eux) puis d’apporter un éclairage tour à tour sur chacun des personnages. J’ai beaucoup aimé la sensibilité de l’écriture, les descriptions sans longueurs mais qui permettent de s’imaginer les lieux, la vivacité du récit.
Il paraît que ce roman est le plus représentatif de l’ère Meiji. Je ne sais pas si c’est réellement le cas, mais je lui trouve l’étoffe d’un classique.
Bonne lecture et bonne journée !