Je suis une fille pétrie de complexes. Vraiment. Pire que ça, je ne me trouve pas belle. Dans le meilleur des cas, je me trouve banalement insignifiante.
J’ai bien conscience qu’en disant ça, de suite, je ne vous vends pas du rêve. Mais en fait je voudrais parler de quelque chose de bien précis : du poids des paroles. Et comment ces paroles peuvent flinguer l’estime de soi (sans blague). Et pour illustrer cela, j’aimerais bien vous raconter une histoire, celle des doigts tordus…
Je ne sais pas trop bien pourquoi, mais plus jeune j’ai eu beaucoup de déboires avec mes mains. J’ai eu un nombre incalculable d’entorses, et je me suis très souvent déboité les doigts. Avec notamment un épisode mémorable lorsque je me suis coincée les doigts dans la porte des WC de l’école.
Parce que quand j’étais petite (vers le CE1 ou le CE2), quand on allait aux toilettes, on avait toujours une comparse qui venait avec nous pour « tenir la porte ». Je ne sais plus si c’était pour éviter que les garçons n’ouvrent la porte ou pour être rassurée par une présence amicale, mais je n’ai pas un seul souvenir d’être allée seule aux WC.
Bref.
Toujours est-il qu’un jour une de mes copines a voulu aller au petit coin, et m’a demandé de lui tenir la porte. Je me suis donc mise à mon poste (c’était très sérieux cette affaire), et j’ai mis ma main droite sur le chambranle de la porte, côté gonds.
Grossière erreur (mais que bien entendu, je n’ai mesurée que trop tard).
Parce que dans mon école, les portes des WC, c’était un peu comme les portes des saloons vous voyez : on pouvait, indifféremment, soit les pousser, soit les tirer, quelque soit le côté de la porte où on se trouvait. Bien entendu, nous étions des enfants plus ou moins turbulents, et donc nous poussions les portes (plus facile). Et qu’est-ce qui se passe quand on pousse une porte alors qu’il y a des doigts dans le chambranle ?
Hé bien les doigts en question, ils morflent. Et dans mon cas, ils se sont déboités. Enfin surtout un, l’annulaire de la main droite. Je ne me rappelle plus vraiment ce qu’il s’est passé après (est-ce qu’on a appelé mes parents pour m’emmener à l’hosto?), par contre je me souviens avec certitude que le truc qui m’angoissait, c’était bien d’aller à l’hosto justement. Et donc je n’ai rien trouvé de mieux que de tirer comme une forcenée sur mon doigt pour qu’il se remette et ne pas avoir à y aller.
Bien entendu j’ai pris un savon mémorable pour ça, mais ça ne m’a pas empêché de continuer (puisque ce genre de mésaventure a du m’arriver au moins 3 fois par la suite), toujours pour éviter l’hôpital où j’allais invariablement, et où l’urgentiste avec un air dépité disait qu’il ne pouvait rien faire, sauf de casser pour tout remettre (et là, c’était un peu l’apocalypse dans l’hôpital, c’est moi qui vous le dis, parce que le mec qui arrive à me casser un truc qui est en place et qui fonctionne – même si c’est un peu artisanal, je ne l’ai pas encore rencontré).
Bon, et alors, tout ça pour quoi, me direz-vous (c’est que c’est une longue introduction quand même). Tout ça pour vous dire que j’ai gardé des séquelles, puisque mes doigts n’ont pas été correctement remis. Et donc, j’ai les doigts tordus. Enfin certains.
Pendant des années, je n’ai pas prêté attention à mes doigts mal remis : un doigt, c’est un doigt. Tant qu’il faisait ce que je lui demandais, je me préoccupais peu du design. Et puis est arrivée l’adolescence, les premiers émois, tout ça.
Et là le drame : j’avais (toujours) les doigts tordus. Sauf que mes doigts tordus, ben ils faisaient pas trop recette auprès des personnes qui m’intéressaient vous voyez (ce qui arrangeait bien mon frère qui n’avait pas trop à se fouler pour son rôle de Cerbère, mes mains – entre autres – faisaient le boulot pour lui). C’était même plutôt l’inverse. Alors j’en ai soupé du « Beurk, mais t’as les doigts tordus ! », « Han mes tes mains elles sont pourries », et autres joyeusetés assorties de cris plus ou moins effarés.
Et du coup, j’ai intégré, tranquillement, dans ma petite tête, que j’avais des mains répugnantes. Un point, c’est tout. Et que c’était rédhibitoire. Finir seule et vieille fille pour une histoire de doigts ça ne devait pas être commun, mais c’est ce qui devait m’arriver, j’en étais persuadée, j’étais résignée (triste, mais résignée) (j’étais un peu théâtrale comme fille à l’époque).
Des années et deux déménagements plus tard, j’ai rencontré quelqu’un qui me plaisait. Beaucoup. Vraiment. J’étais en classe préparatoire, et dès le premier jour j’ai eu un gros crush pour lui, en mode j’ai le cœur qui bat à 300 à l’heure, je tremble et je transpire (je suis la classe incarnée, je sais).
Damned, comment le séduire avec mes doigts tordus (en plus du reste) (je suis une fille complexée je vous dis) ?
Alors je ne vais pas vous faire un cours de drague par article interposé (avec mon long célibat actuel je ne serais pas bien crédible), mais toujours est-il qu’avec du culot (beaucoup), de la finesse (pas vraiment en fait) et 23 tonnes d’humour, le jeune homme en question a bien voulu sortir avec moi. En 72h (ouais je sais être persuasive quand il faut).
Et le truc qui l’avait fait craquer au premier coup d’œil, chez moi…
C’était mes mains.
Les fameuses mains tordues qui m’avaient valu les pires moqueries et humiliations, lui il les trouvait belles et racées. Lui il aimait que le les mette en valeur avec du vernis bling-bling (oui j’ai eu une période bling-bling du vernis). Lui il ne se lassait pas de les toucher. Lui il aimait bien jouer avec mes doigts décharnés. C’est aussi à cette époque que feu ma grand-mère m’a dit qu’elle trouvait que j’avais des mains de pianiste (bon feu mon grand-père n’était pas d’accord, mais je ne sais pas bien s’il se représentait ce que c’était des mains de pianiste). C’est joli des mains de pianiste, non ?
A partir de ce moment là j’ai commencé à aimer mes mains, à les voir autrement que comme quelque chose de répugnant au bout de mes bras. A leur trouver du charme. A me dire que mes mains étaient belles, notamment parce qu’elles m’aidaient à accomplir des choses merveilleuses (depuis préparer une soupe potimarron-patate douce du tonnerre à peindre une jolie aquarelle). Maintenant, j’arrive même à rire de mes doigts tordus, surtout quand je montre aux gens mon doigt pas bien remis et qu’ils font des têtes bizarres.
Il y a peu, on va dire que je me suis un peu perdue de vue. Je ne faisais que le strict minimum pour mon corps, de quoi être présentable quoi. Et il y a quelques semaines, je venais de finir la vaisselle, je m’essuyais les mains, et j’ai pesté parce qu’elles étaient abîmées, comme pratiquement tous les jours précédents depuis qu’elles avaient décidé de peler (en mode « je vais me transformer en râpe à fromage, tu vas voir ça va être terrible).
Sauf que là je les ai regardé avec un œil bienveillant.
Le lendemain je suis allée m’acheter de la crème spéciale (c’était avant que je ne me décide à faire mes cosmétiques), et je me suis dit que ce serait bien de vous raconter cette histoire.
Parce que les complexes, en fait, c’est juste une histoire de perception : si on voyait notre corps avec des yeux bienveillants et en se remémorant toutes les choses épatantes qu’il fait, ce serait impossible de le dénigrer.
Et si, en plus, on ne se rappelait que des compliments, on serait tous beaux à nos yeux.
Bonne journée !
PS : La crème que j’ai acheté, c’est donc une crème de chez Naturelle d’Argan que j’ai trouvé à la biocoop. Elle pègue un peu à l’application, il faut bien masser et ne pas en mettre trop, par contre elle est redoutable d’efficacité : en 48h, j’ai retrouvé des mains douces, mais douces !
PS 2 : Bien entendu, si je suis toujours pétrie de complexes, ça ne veut pas dire que c’est facile de s’en débarrasser. En revanche, petit à petit, avec du temps et de la bienveillance, je crois qu’on peut tous commencer par accepter nos spécificités. Pas forcément les aimer, mais juste les accepter, se dire qu’elles sont là, qu’elles font partie de nous, et que malgré ça, notre corps nous rend des services. Rien que ça, c’est énorme. Et l’amour, il devrait venir après, tranquillement…