J’ai plein de petites manies, de petits rituels. Certains en déduisent que je suis d’une organisation extrême, d’autres pensent que je suis simplement maniaque, et ceux qui restent ne comprennent pas, tout simplement.
Au mieux ça les fait rire.
Les rituels, je crois que c’est une parenthèse qu’on se créé pour soi : on s’enferme dans sa bulle, on fait abstraction de l’extérieur et on se concentre sur ce qui est important, à savoir ce que l’on est en train de faire, que ce soit faire son gommage sous la douche, écrire à un ami ou préparer une paella.
Donc j’ai des rituels, comme plein de gens qui peut être ne s’en rendent pas compte. Quand je peins, j’en ai un aussi.
En fait je ne sais pas vraiment si c’est un rituel pour quand je peins, ou s’il arrive avant. Enfin toujours est-il que cela commence par les mêmes choses, des petits trucs minuscules mais qui me mettent en condition. Quand on va au fitness on s’échauffe pour ne pas se blesser : le rituel c’est un peu un tour de piste pour se mettre en jambe.
Je ne peins pas juste parce que j’ai envie de peindre. Je peins aussi parce qu’il y a quelque chose (ne me demandez pas quoi, je n’en sais rien) qui doit sortir, que je dois lâcher. Alors je choisis mon support (papier ou toile), je vais chercher la peinture qui me fait envie (acrylique, gouache ou, plus rarement, aquarelle), je prends les pinceaux qui vont bien, la grosse poche en plastique pour protéger la table ou le sol (oui, je peins à même le sol), un peu d’eau. Je dispose tout bien pour que ce soit pratique devant moi.
Je m’assois.
Et j’attends. Là c’est le moment où il s’agit de mettre de côté le vacarme de ma tête pour n’en extraire que l’important. Enlever le « tu devrais aller faire remplacer la pile de ta montre plutôt » pour se concentrer sur ce qu’il y a dessous, au fond, qui essaie de se faire un chemin mais il y a trop de monde.
En fait peut-être que je médite dans ces moments-là, je ne sais pas trop. J’attends que le train avec le vacarme s’en aille, et je me concentre sur ce qu’il reste.
Ce qu’il reste se résume à deux choses : une musique et une palette de couleurs. C’est tout. Je ne sais pas ce que je vais en faire de ces deux choses, mais c’est ça qui doit sortir (je crois) (je n’ai pas la science infuse, je veux juste raconter comment ça se passe pour moi). Parfois j’ai une image qui me vient, parfois rien.
Ce jour là c’était rien. Et quand il n’y a pas d’image, je me dis que ce qu’il faut faire, c’est juste prendre de la couleur, poser et laisser faire. En gros, je passe en art abstrait (ou contemporain, appelez ça comme vous voulez) (les mots ne sont pas importants, c’est l’émotion et le geste qui en découle qui le sont je crois).
Ensuite, il faut prendre son courage à deux mains, son pinceau dans l’une, la palette dans l’autre (ça fait beaucoup de mains pour une seule personne, je sais) et commencer. Quand on n’a pas confiance en soi, la vraie difficulté c’est de faire la première touche de couleur. Parce que même si on a détecté l’essentiel, l’essence, ce que l’on veut sortir de soi, il y a cette petite voix qui dit tout bas, puis de plus en plus fort « à quoi bon, c’est moche ce que tu fais ? ».
Pour la faire taire, le meilleur antidote c’est l’action. Parce que finalement on s’en fiche un peu que ce soit moche ou pas, l’important c’est de s’écouter. Peut être qu’on n’affichera pas cette toile là, peut être qu’on y reviendra plus tard, peut être qu’on la recouvrira avec autre chose. Quelle importance ?
Faire c’est prendre un risque : celui de se tromper. J’ai mis longtemps à comprendre (peut être que ça vient juste de venir à mes neurones en fait) que ce n’est pas un problème de se tromper, que moi aussi j’avais le droit de ne pas tout le temps réussir, que j’avais le droit d’envisager les choses différemment, de faire autrement, de ne pas être comme tout le monde. Et que si je faisais quelque chose de « moche », j’avais au moins le mérite d’avoir puisé au fond de moi quelque chose.
Ce jour là, 3 couleurs à la palette : jaune, rouge et puis du blanc. Une toile où il y avait déjà quelque chose mais que je trouvais fade. Et puis dans ma tête, la musique de Requiem for a dream. De cette musique qui m’évoque tellement la douleur de l’humain, cette sensation qu’on m’arrache les côtes lentement et qui me tire dès les premières secondes un torrent de larmes, en est sorti un tableau tout en rose et orange, avec quelques touches de blanc et de jaune.
Le tableau ne peut pas refléter le film, je n’ai toujours pas réussi à le regarder en entier tellement il me fait mal. Je ne sais pas ce qui résonne en moi dans ce film, dans cette musique, mais ce jour là, c’est ça qui m’est venu.
Je ne sais pas ce que j’ai voulu représenter. J’ai superposé beaucoup de couches, j’ai rajouté du blanc, du rouge, non en fait le jaune là il est bien. Au fur et à mesure je tourne la toile, je tourne autour, je m’éloigne et j’y reviens.
Au bout d’un moment, la musique dans ma tête s’est arrêtée. J’ai reposé le pinceau. Mon visage se détend, je me sens plus légère, presque soulagée.
La peinture est faite.
Requiem for a dream.
Il suffisait juste de s’écouter un peu et de commencer…
Bonne journée !